Débat autour du keynésianisme



Vendredi 31 Août 2012
Opinion - Maxime Baudrio

Aujourd'hui, plus aucun dirigeant politique ne se réclame de Keynes. Que proposait-il ? Rien de moins que de financer la croissance par les déficits publics et le crédit facilité. Alors que les déficits des États atteignent des montants vertigineux, le minimum de sagesse impose leur réduction urgente.


Débat autour du keynésianisme
Il ne faudrait surtout pas qu'un évènement supplémentaire tel que la faillite d'un État de la zone euro se produise. Aucune solution n'existerait. L'urgence est telle que la BCE est sortie de son rôle statutaire pour mettre à la disposition des banques européennes 1 000 milliards de crédits afin de leur permettre de se refinancer. Les chefs d'État ont également mis sur pied un système de garantie de financement, le SME, qui dispose de 750 milliards d'euros. Montant qui serait pourtant très insuffisant si l'Espagne, ne pouvant plus se financer sur les marchés extérieurs, devait y avoir recours. Pour tout le monde, il ne s'agit pas là de solutions véritables, mais de mesures provisoires. La réduction des déficits est la seule solution permettant d'éviter une nouvelle crise majeure dans la zone euro. C'est pour cette raison que la France et l'Allemagne ont obtenu la signature d'un traité de discipline budgétaire imposant un retour à l'équilibre aux États de la zone euro. Autant dire que Keynes est rangé dans les rayons des bibliothèques d'histoire économique.

L'actualité, c'est bien l'austérité. Cette rigueur est payante, comme le démontrent l'économie allemande, et de façon plus large les économies du nord de la zone euro. La recette est connue : pas de déficits publics, des salaires maîtrisés et un marché extérieur positif, qui permet de préserver la croissance. À l'inverse, les pays du sud avec des déficits publics abyssaux, l'usage immodéré du crédit pour financer l'activité, paient aujourd'hui lourdement leur croissance à crédit. Le résultat : un chômage dévastateur, une économie ralentie, sans aucune perspective salutaire proche, avec des populations plongées brutalement dans l'austérité durable. Et c'est ainsi que Keynes revient par la fenêtre, après, il est vrai, des élections désastreuses pour les pouvoirs en place. Car trop d'austérité tue l'austérité, et la nécessité de mesures de relance fait débat.

Des déficits astronomiques

 La crise américaine a accéléré les prises de conscience sur les croissances des pays de la zone euro et sur le fonctionnement du système monétaire européen. La faillite de Lehman's Brothers a nécessité l'injection de sommes colossales dans le système bancaire. Au minimum, le gouvernement a dû trouver 700 milliards de dollars. Historiquement, un tel montant n'avait jamais été nécessaire pour faire face à une crise, et cette somme devait en outre être débloquée dans l'urgence. Sans cette réaction rapide, le désastre planétaire était l'hypothèse la plus optimiste. Dans une situation aussi explosive, il était indispensable de rassurer les investisseurs. Or ceux-ci, en regardant vers l'Europe, n'ont trouvé que des motifs d'inquiétude. Les pays du sud de l'Europe étaient assis sur des déficits tels qu'ils ne pouvaient plus faire face depuis longtemps. L'hypothèse d'une faillite, non pas des banques, mais des pays eux-mêmes était donc une réalité. Virtuellement en faillite, la Grèce a de ce fait, montré le scénario catastrophe de la déroute d'un État. Dès lors, le système monétaire européen a montré au grand jour son impuissance et sa réalité : il ne comporte aucune obligation de solidarité entre les États membres. La boucle est ainsi bouclée. Un État peut faire faillite et ses partenaires occupés à colmater leurs propres fragilités ne sont pas capables de l'aider. Pire encore, ils refusent de le faire à l'image des pays du nord de l'Europe, Allemagne en tête, qui du haut de leur exigence d'orthodoxie budgétaire, refusent de mettre leur épargne au service des économies sinistrées du sud. Quant au fonds de soutien mis en place à la hâte, pour une valeur théorique de 750 milliards d'euros, il est très insuffisant pour faire face aux besoins d'un pays défaillant qui le solliciterait. On frémit dans la perspective où, face à des taux d'emprunt insupportables, l'Espagne devait demander l'aide de ses partenaires. Le fonds européen, SME, ne pourrait être alimenté que par des États déjà endettés, la France en tête. Or, après avoir aggravé leur endettement pour alimenter ce fonds, ils mettraient ces sommes à la disposition d'un pays incapable de les rembourser. L'urgence de cet artifice n'est pas contestable, elle permet de rassurer - un peu - les investisseurs, mais il ne peut s'agir d'une solution de fond. Quant aux marchés financiers, ils prêtent aux uns et pas aux autres, ils font confiance à certains et pas à d'autres, ils pratiquent des taux différents pour les États de la zone euro. Celle-ci ne présente donc qu'une apparence d'unité et de réalité.

Dans ces conditions, Keynes est dépassé. Il n'avait certainement pas prévu que des déficits puissent atteindre de tels sommets. Comment aggraver des situations déjà explosives en creusant un peu plus la tombe des économies des pays en crise ? Restaurer la confiance dans un système proche de l'effondrement ne passe sûrement pas par le recours à la planche à billets avec le crédit facilité. Or, c'est bien à cela que conduirait la logique keynésienne. Puisque les déficits sont des poudrières, il conviendrait de tenter de relancer par le crédit. Pour ce faire, les taux devraient être rabaissés. Les exemples espagnols et grecs de la généralisation du crédit sont instructifs sur les conséquences de telles mesures. Le financement par le crédit, s'il augmente les importations, entraine... l'aggravation des déficits du fait d'un commerce extérieur déficitaire et de la nécessité de payer en devises. Dès lors, le choix de la rigueur est le seul qui reste.  

Réduire les déficits

 Réduire les déficits est donc le leitmotiv de toutes les politiques économiques crédibles en Europe et aux États-Unis. En France, la période d'élection n'a pas été propice à un énoncé aussi clair de la part des candidats. D'autant que la France est victime de deux problèmes en matière de déficit. D'une part, le déficit public est monstrueux, d'autre part, la balance commerciale est, elle aussi, gravement déficitaire. La France consomme beaucoup plus qu'elle ne produit, et ceci, en raison notamment de la désindustrialisation du pays. Il est nécessaire de réduire ces 2 déficits. En se tenant au seul déficit public, les candidats étaient d'accord sur le fond : il n'est pas possible de tolérer de tels niveaux de déficit.

Au pouvoir depuis 2007, Nicolas Sarkozy avait fait de la réduction du nombre de fonctionnaires une règle absolue. On ne remplace plus qu'un départ sur deux et l'administration se modernise afin d'offrir une meilleure qualité de service avec moins d'agents. La fiscalité a été revue et les niches fiscales sont une à une supprimées. Même les socialistes se montrent des gestionnaires rigoureux et dénoncent un déficit qui pénalise les futures générations. Il convient de faire la part des promesses de campagne avec la nécessaire confiance des investisseurs. Qu'on le veuille ou non, les États, et la France n'est pas une exception, sont sous le regard des marchés financiers. Leur approbation ou leur sanction des politiques publiques est la condition même de la réussite d'un programme politique. Si la gauche pouvait se passer des investisseurs, la question serait tout autre. Malheureusement, la France n'est pas seule et le programme socialiste vise lui aussi au redressement des finances de l'État et donc la réduction, puis à la disparition du déficit de l'État. François Hollande a annoncé des mesures de relance limitées. Il en est ainsi de l'augmentation du SMIC dont les effets ne seront pas forcément uniquement ceux attendus. Il prévoit également le recrutement de fonctionnaires, notamment dans l'Éducation nationale. Or, les salaires des agents publics sont certainement le poste sur lequel les États peuvent jouer pour diminuer le déficit. Cela va à l'encontre de la mesure de réduction stricte respectée depuis plusieurs années. Les propositions ont été chiffrées à 150 milliards. Il est vrai que celles de Nicolas Sarkozy s'élevaient à seulement 100 milliards. La France n'est pas la seule à faire de la réduction des déficits une priorité. La Grèce y a été fortement contrainte par sa situation de banqueroute. Elle ne dispose d'aucune marge d'action et se voit dicter par le FMI et l'Europe des mesures de redressement sévères. L'Espagne tente à tout prix d'éviter un scénario à la grecque. La réduction des déficits est désormais la profession de foi du nouveau gouvernement de droite. Il met fin aux largesses socialistes avec la suppression et la réduction des allocations sociales. Le crédit est désormais verrouillé, la bulle immobilière explose. L'Italie, l'Irlande sont des États désormais adeptes de la réduction des déficits. Ainsi, sur la question du Keynésianisme, la réponse unanime est un non vigoureux et intransigeant. La règle est désormais inscrite dans le traité parafé sous l'égide de Nicolas Sarkozy et d'Angela Merkel. Du haut de leur expérience, les États du nord de l'Europe montrent ainsi les résultats des déficits maîtrisés sur leur économie... en croissance.

L'austérité a des limites

Gouverner, c'est aussi affronter l'opinion publique et se souvenir que des élections peuvent tout changer. Plus personne n'est keynésien, à part les populations. En effet, les potions amères de l'austérité ne passent pas. Les Indignés avaient lancé le premier signal d'une exaspération planétaire et exigeaient des mesures de relance sur les salaires et sur les embauches. En général, les forces de sécurité sont allées les déloger. Mais les élections ont fini par arriver. En Europe, tous les gouvernements ont tout simplement perdu le pouvoir à la faveur des consultations électorales récentes. Droite ou gauche ont été balayées, ce qui témoigne bien d'une protestation générale contre la rigueur imposée brutalement par les politiques. Même en Allemagne où cette rigueur traditionnelle a donné de bons résultats, les alliés de madame Merkel sont régulièrement désavoués aux élections locales. François Hollande a été le premier politique, à ce niveau, à énoncer que l'austérité devait trouver des limites. Il était temps de pratiquer une politique de croissance. Il a annoncé qu'il demanderait la révision du traité pour apporter l'indispensable référence à la croissance. Les mesures qu'il a annoncées dans son programme sont certes des mesures de croissance : augmentation du SMIC, recrutement d'enseignants, augmentation de l'allocation de rentrée scolaire. Toutefois, elles comportent le risque de défaire ce qui avait été initié en faveur de la réduction des déficits. Pour mettre en place de telles mesures, il convient préalablement de trouver leurs financements. C'est bien là la grande difficulté. Les socialistes annoncent qu'ils trouveront ces financements et qu'ils n’ont aucunement l'intention d'aggraver les déficits. Comment financer, telle est la question. Il faut bien entendu relancer la croissance. Pour François Hollande, La relance doit être une priorité de l'Europe. Pour la financer, la BEI, la Banque européenne d'investissement, pourrait intervenir en mettant à la disposition des États certains fonds structurels issus de la recapitalisation de leurs dettes. Ce mécanisme permettrait aux États de financer de grands projets. Ce dispositif intéressant pourrait avoir des effets bénéfiques, notamment en raison des montants mis à la disposition des différents pays. Il s'agit pour l'instant d'une proposition et la réaction des partenaires de la France n'est pas encore connue.

Pour pouvoir faire du keynésianisme, encore faut-il disposer de marge de manœuvre. Quand les déficits sont gigantesques, les possibilités de relance disparaissent. Et les États paralysés par l'impératif de retour à l'équilibre ne peuvent plus satisfaire les exigences de la population. Le retour à des niveaux de déficit acceptables n'est plus contesté. Mais la souffrance des électeurs exaspérés est tout aussi réelle. Où trouver les pistes d'économie et de relance dans des contextes si tendus ? La réponse passe sans aucun doute par d'autres ajustements plus profonds. Définir les nouvelles priorités, faire évoluer les modes de vie, susciter de nouvelles attitudes citoyennes, tel est le véritable travail de fond à accomplir. Seuls des hommes politiques peuvent proposer cette nécessaire remise en cause de nos sociétés.







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