Le financement privé au cœur de l’innovation française



Jeudi 14 Décembre 2023
La Rédaction

« La France est en train de mettre sur pied un plan en faveur de l’innovation sans équivalent depuis l’après-guerre et la reconstruction », a affirmé, avec enthousiasme, Paul-François Fournier, directeur innovation de Bpifrance. Le projet d’investissement « France 2030 », doté de 54 milliards d’euros, est certes d’envergure, mais il ne suffira pas, sans l’appui du secteur privé, à relancer la machine industrielle française et à doper l’innovation.


« Qu’a besoin de faire notre pays ? De continuer d’être compétitif sur le capital, le travail, l’innovation ! », affirmait Emmanuel Macron dans un discours en mai dernier à l’occasion d’un évènement intitulé « Accélérer notre réindustrialisation ». Il faut dire que le président de la République a fait de l’innovation son cheval de bataille, et à raison : elle est un gage de renouvellement de l’économie et de l’offre d’emplois, tout en étant fondamentale pour notre souveraineté industrielle.

Bpifrance a ainsi d’ores et déjà débloqué 22 milliards d’euros (sur 54 au total) dans le cadre du grand plan d’investissement « France 2030 », lancé en 2021. Celui-ci a pour but de faire émerger les futurs champions industriels français dans des domaines vitaux pour notre économie : défense, santé, nouvelles technologies, numérique…

Mais l’argent public n’est évidemment pas infini, et l’objectif de Bpifrance consiste surtout à donner l’impulsion au secteur privé, de l’aveu même de son directeur innovation. « L’enjeu principal est désormais que le privé prenne le relais de la puissance publique sur le financement de l’innovation en France », confirme Paul-François Fournier. « On est en avance de phase pour donner un signal au marché. Mais on a vocation à rester minoritaire ». En somme, le secteur privé doit, lui aussi, jouer le jeu pour accompagner les entreprises, encourager l’innovation et donc délivrer, au bout de la chaîne, croissance économique et emplois.
 

L’innovation, un enjeu majeur de souveraineté économique et industrielle

Traitement de maladies rares et réputées incurables, transition énergétique, production d’électricité propre, relance du tissu industriel et recherche d’une nouvelle souveraineté industrielle… Relever ces grands défis, c’est l’objectif que se sont fixé de très nombreuses pépites françaises de tous les secteurs. On peut évoquer la GreenTech Qair, spécialisée dans l’hydrogène vert et l’éco-combustion, ou encore la MedTech CorWave, qui a créé une pompe cardiaque révolutionnaire, inspirée du mouvement de la nageoire des poissons, à destination des patients souffrant d’insuffisance cardiaque sévère.

Au-delà de leurs ambitions de disruption technologique, ces startups participent aussi directement à l’économie réelle, en créant des emplois, en construisant des usines… Elles répondent de plus à un objectif fondamental de souveraineté industrielle, à l’heure où la France est à la traîne dans beaucoup de domaines, comme les technologies médicales, où la plupart des leaders sont anglo-saxons. « C’est rageant, car la France a toujours été une terre d’innovation dans le domaine, dont l’excellence des scientifiques et des médecins est réputée mondialement », regrette Eric Le Roy , directeur général du Syndicat national de l’industrie des technologies médicales. « La difficulté principale reste le financement », souligne de son côté Bertin Nahum, ancien président de Quantum Surgical, une MedTech spécialisée dans les robots médicaux, et qui a dû vendre sa pépite en 2016 à l’Américain Zimmer, faute de fonds. Une problématique de financement de l’innovation que l’on retrouve dans tous les secteurs, puisque les technologies de rupture nécessitent presque toujours un très fort investissement initial. Malheureusement, les banques comme les fonds de capital-risque, qui ont justement pour rôle d’amorcer ce type de financement, délaissent peu à peu ces sociétés à très fort potentiel— mais à besoin de liquidités élevé.
 

Quand les investisseurs délaissent la French Tech

Les fonds de venture capital n’osent plus : c’est ce qui ressort des chiffres publiés par EY pour 2022 et 2023. Au premier semestre de cette année, le cabinet de conseil a ainsi constaté une baisse des investissements de 49 % par rapport à l’année dernière. « Les raisons de ce ralentissement sont multiples et ne sont que la confirmation de ce qui est perceptible dans la French Tech depuis l’été 2022. La hausse des taux et les incertitudes macroéconomiques ont mis un frein à un système qui s’était un peu emballé », indique Franck Sebag. « La plupart des investisseurs ont décidé de temporiser, entraînant dans leurs sillages une contraction des volumes d’investissements, d’abord aux États-Unis puis en Europe ».

En parallèle, un même mouvement se fait sentir du côté des banques, qui rechignent à consentir des prêts « risqués » aux entreprises innovantes et de rupture, notamment à cause de la hausse des taux. Même en dehors de ces aspects conjoncturels, ce type d’entreprise présente des caractéristiques qui ne facilitent pas l’obtention d’un prêt bancaire : manque de notoriété, incertitude sur l’aboutissement technologique et les débouchés commerciaux, retour sur investissement éloigné dans le temps, difficultés financières et endettement déjà important… « Quand vous êtes une PME qui traverse trois ans "dans le rouge", il n’y a plus aucune banque pour vous soutenir », confirme Alexandre Borgoltz, président de DBT, une entreprise spécialisée dans les stations de recharge pour véhicules électriques.

C’est aussi pour cela que de nombreuses sociétés décident de s’introduire en bourse, sur les conseils de courtiers qui font parfois miroiter un avenir radieux avec par exemple l’arrivée deliquidités importantes… Des espérances qui sont souvent déçues, comme pour la MedTech française Ikonysis, dont la valeur s’est effondrée de plus de 30 %… le premier jour de sa cotation. Toutes ces raisons expliquent en grande partie pourquoi d’autres méthodes de financement dites « alternatives » battent des records en France, comme le crowdfunding.
 

L’innovation multiplie ses sources de financement

Le financement participatif a récolté plus de 2 milliards d’euros en 2022, selon le baromètre de Mazars. Un record, qui montre la croissance très importante de ce secteur, notamment dans le financement participatif sous forme de prêts. Souvent, le crowdfunding permet d’ailleurs de compléter efficacement les premiers investissements publics reçus.

C’est typiquement le cas de l’entreprise Cyclik, qui met au point des vélos avec des cadres en lin et en bambou. La startup avait reçu une bourse French Tech ainsi qu’une subvention de l’Ademe, mais il lui manquait une somme conséquente — 1,2 million d’euros — pour passer le cap de l’industrialisation sur ses premiers modèles électriques. L’aide est finalement venue du secteur privé, puisque le crowdequity (financement participatif par actions) lui a permis de récolter 250 000 euros en trois mois, mais aussi et surtout d’attirer de nouveaux investisseurs. « Grâce aux échanges que nous avons eus avec certains [investisseurs], nous avons fait évoluer le produit sur plusieurs détails techniques. D’autres ont aidé à recruter ou à trouver des revendeurs spécialisés dans le nord de la France », raconte Félix Hébert, fondateur de la startup.

Pour les entreprises qui ont fait le choix d’être cotées en Bourse, sans voir leur capitalisation augmenter en temps opportun, d’autres voies s’ouvrent comme les obligations convertibles en actions avec bons de souscriptions d’actions (OCABSA). Ce produit, connu pour sa flexibilité, donne la faculté à son porteur de convertir les obligations en actions au fil de l’eau. Avec l’absence de taux d’intérêt pour l’entreprise, elles constituent un excellent moyen de financer l’innovation par le marché, qui s’accompagne forcément d’un risque élevé d’une dilution du capital pour certains actionnaires. Un risque à tempérer néanmoins, sachant que beaucoup d’entreprises ayant recours aux OCABSA ne sont pas loin de mettre la clé sous la porte faute de liquidités, à l’image d’Hopium, un des leaders français de l’hydrogène. Celui-ci a émis un tirage de 200 OCABSA cette année, en collaboration avec Atlas Special Opportunities, après un dévissage sévère : son cours de bourse a perdu 96 % de sa valeur depuis le 1er janvier. Une solution de la dernière chance pour cette entreprise abandonnée par ses investisseurs, mais dont le projet pourrait révolutionner les mobilités, avec la mise au point d’une voiture à hydrogène rechargeable en quelques minutes à peine.

À l’inverse, d’autres entreprises choisissent de recourir aux OCABSA pour accélérer leur développement et combler leurs besoins en fonds de roulement très élevé, justifiés par une R&D intensive. C’est le cas de nombreuses biotech, connues pour avoir des besoins en cash importants, comme Pharnext, à qui il manquait environ 100 millions d’euros pour conduire les derniers essais cliniques d’un médicament révolutionnaire destiné à traiter la maladie de Charcot-Marie-Tooth (CMT). « Aucun actionnaire n’était capable d’assurer son financement », raconte Hugo Brugière, PDG de l’entreprise, qui a donc choisi les obligations convertibles. « Avec notre partenaire financier, Alpha Blue Ocean (ABO), nous avons mis en place des moyens de financement en obligations convertibles. Cela nous a permis de lever environ 80 millions d’euros sur 18 mois », et donc de conclure l’essai clinique, qui s’est fini le 24 août dernier. La biotech vise à présent des autorisations de mise sur le marché auprès des gendarmes du médicament américains et européens. « Il faut garder les pieds sur terre, mais je crois que nous sommes à l’aube de réussir un pari stratosphérique », s'enthousiasme Hugo Brugière.

Une preuve parmi d’autres qu’en France, le financement privé est capable d’investir dans l’innovation pour accélérer la réindustrialisation et être aux avant-postes de révolutions technologiques promues et initialement soutenues par l’État.








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