Sephora, Carrefour City : salariés contre… syndicats



Vendredi 25 Octobre 2013

Il flotte comme un parfum d’entrée en résistance tant sur les Champs-Elysées que dans la gare St-Lazare. Après les magasins de bricolage, ce sont les commerces de proximité qui font les frais de la judiciarisation du débat sur l’ouverture dominicale. De leur côté, les syndicats veulent frapper fort : ils ciblent des lieux à forte affluence comme pour mieux marquer les esprits.


L'avenue des Champs-Elysées
L'avenue des Champs-Elysées

Climat social délétère

« Un parfum de haine ». Voilà comment le Huffington Post décrivait l’ambiance qui régnait au magasin Sephora des Champs-Elysées le 8 octobre dernier, tandis que le magasin ouvrait ses portes jusqu’à 1H du matin pour la toute dernière fois. Par décision de justice du 23 septembre, l’intersyndicale Clic-P a obtenu de l’enseigne appartenant au groupe LVMH qu’elle baisse désormais le rideau à 21H.

« Ces syndicats, on ne les connait pas, ils ne sont jamais venus nous consulter, conteste pourtant un salarié de Sephora. Leur action nous porte préjudice. » Un témoignage qui reflète l’incompréhension et la colère de salariés visiblement satisfaits de leurs conditions de travail, parfois depuis de très longues années : « Ca fait 14 ans que je travaille la nuit, et je veux continuer », se plaint un autre.

Il faut dire  que les salariés comprennent de plus en plus mal l’interdiction qui leur est faite de travailler en soirée ou le dimanche sur la base du volontariat, à plus forte raison lorsque leur mode de vie le justifie et qu’ils y trouvent leur compte. « Les travailleurs du dimanche sont des volontaires – c’est un des éléments fondamentaux le droit français », écrivait par exemple cette étudiante salariée de Leroy Merlin, ravie de pouvoir empocher quelque « 800 euros par mois, pour seize heures hebdomadaires » sans compromettre  le bon déroulement de ses études. 
Les salariés de Sephora insistent sur le bénéfice qu’ils retirent de leur majoration de salaire et jugent utile  de préciser que « l’entreprise prend en charge le taxi » lorsqu’ils terminent le soir. Une façon de ranger définitivement l’habit de Thénardier dont on affuble trop souvent les patrons « du dimanche » et ceux du soir : « on veut travailler le soir, c’est un choix qui nous laissent d’autres libertés», se sentent-elles obligées de justifier.

Résultat : les salariés s’estiment lésés, infantilisés par des organisations syndicales qui prétendent défendre leurs droits. Pis, chez Sephora, ils redoutent le péril qui plane au–dessus des 45 emplois induits par l’ouverture : selon le Huffington Post, environ un quart du chiffre d’affaires du magasin est réalisé après 21H. Ce climat délétère entre les organisations syndicales et les salariés se traduit par un dépôt de plainte de ces derniers contre l’intersyndicale. Curieux pays où ceux qui sont en charge de la défense des salariés réclament l’application d’une loi contraire à l’intérêt de ces derniers…

Des symboles, pour l’exemple

Flashback. En juin 2012, à la veille des soldes d’été, le BHV Rivoli et les Galeries Lafayette Haussmann s’étaient déjà vus interdire l’ouverture nocturne par le TGI de Paris qui avait été saisi en référé par les syndicats. S’ensuivit une longue liste de condamnations : Apple, Monoprix, Uniqlo… A l’échelle nationale, ces fermetures menaceraient plusieurs milliers d’emploi, précisent de concert employeurs et salariés.

En juillet dernier, c’était au tour de Franck Palizzotto, le gérant du Carrefour City de la Gare Saint-Lazare, de s’inquiéter d’une plainte qu’il avait reçue de la direction du travail : « nous avons vu débarquer au magasin deux inspecteurs du travail qui m’ont affirmé qu’une opération coup de poing se déroulait à Paris contre l’ouverture dominicale des commerces. Puis on m’a remis une convocation me sommant de me rendre au tribunal de grande instance ». Trois mois plus tard, le couperet tombe : le Carrefour City  de la gare Saint Lazare devra fermer ses portes tous les soirs à 21H et le dimanche après-midi, tandis qu’ils sont « plus de 2 000 clients à fréquenter le magasin le dimanche entre 13h et 22h. »

L’intersyndicale Clic-P, à l’origine de la plainte qui avait été déposée contre le magasin, a par ailleurs profité de l’occasion pour menacer de recourir à de « nouvelles assignations » à l’encontre de « l’ensemble des supérettes parisiennes en infraction». Et pourtant, la dernière procédure en date est celle des salariés de Carrefour de St Lazare, inquiets pour leur emploi, pour obtenir l’autorisation de rester ouvert le soir et dimanche. Sonia Benhadj, salariée de cette enseigne précise que « Les salariés ont pris l'initiative de se battre contre cette décision. Le gérant n'est pas associé à ce recours ».

De la politisation à la cristallisation du débat

Il peut être utile de s’interroger sur la cohérence d’une situation dans laquelle on oblige un commerce alimentaire de proximité à fermer ses portes le dimanche à 13H, tandis que les restaurants et autres sandwicheries qui le bordent sont ouverts de 7H30 à minuit, ou encore que les aéroports dérogent, pour leur part, à la règle du repos dominical. Guillaume Pepy vient pour sa part de réclamer une équité de traitement pour les gares. Pour lui, l’ouverture le dimanche des commerces dans les gares a aussi un impact en matière de sécurité.

D’une façon générale, les lieux de forte affluence semblent étrangement ponctuer le trajet de ces condamnations qui pleuvent sur les grandes enseignes. Depuis les prestigieux quartiers de la capitale où se bousculaient jadis les touristes, jusqu’aux halls de gare – comme celui de la gare Saint Lazare où se croisent quotidiennement 450.000 voyageurs, on flirte avec le déni de service. Mais ces fermetures sont emblématiques : elles confortent des syndicats qui peuvent se féliciter d’avoir la loi de leur côté, même si cette loi de… 1906 n’est plus tout à fait du goût des Français.

En effet l’un des sondages les plus récents, publié par Le Nouvel Observateur, journal peu suspect de sympathie libérale, indique que 80% des Français sont favorables au travail dominical. Deux tiers d’entre eux soutiennent même les enseignes de bricolage dans leur décision de braver l’interdiction judiciaire. Les commerces alimentaires de proximité, qui réclament l’autorisation d’étendre leurs plages d’ouverture pour mieux répondre aux attentes d’une clientèle urbaine et active, recueillent aussi le soutien de 71% des Français. 
Pas si sûr qu’en ces circonstances, le lien entre légalité et légitimité soit encore affirmé, d’autant plus que ces procès à tours de bras sèment un vent de révolte parmi des salariés qui se sentent abandonnés par des instances supposées défendre leurs intérêts.

Un manque de dialogue social entre salariés et… syndicats !

C’est bien une situation inédite à laquelle nous assistons depuis plusieurs mois : les salariés sont de plus en plus nombreux à se désolidariser de leurs syndicats. Outre les manifestations et autres pétitions largement médiatisées, c’est à grands renforts d’avocats que les salariés entendent désormais, faute d’être écoutés, avoir voix au chapitre.

Car, même si les 101 salariés de Sephora ont été déboutés d’une première action  visant à obtenir un sursis à l’exécution de l’arrêt du 23 septembre dernier, ils entendent bien poursuivre leur combat. Il en va de même des salariés du Carrefour City de la gare Saint-Lazare, déterminés à intenter un recours contre la décision du TGI.  Et pour cause : selon Franck Palizzotto, le gérant du magasin, ce sont neuf emplois sur trente qui devront être supprimés au Carrefour City de Saint Lazare en conséquence directe du jugement.

Certaines positions syndicales ayant été vivement critiquées, rapporte Le Monde, « une première lézarde est apparue, jeudi 3 octobre, lorsque FO a annoncé qu'elle se retirait de l'intersyndicale [Clic-P] et qu'elle suspendait les actions judiciaires qui allaient être engagées ».

Peut-être faut-il y voir un signe d’apaisement, un premier pas vers un renouement du dialogue social entre salariés et syndicats ? En attendant, les salariés poursuivent leur action, dont la portée se veut hautement symbolique : il s’agit pour eux de faire valoir le « droit au travail », lorsque les oripeaux du droit du travail peinent à répondre aux attentes des travailleurs d'aujourd'hui.








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