Avec ou sans pénurie, le secteur de la construction mise depuis plusieurs années sur de nouvelles méthodes de travail et de nouveaux matériaux moins voraces en énergie comme en matières premières, qui rendent progressivement ses chantiers plus efficients, à la fois d’un point de vue économique et d’un point de vue écologique. Une tendance à la sobriété qui prend toute sa signification dans la période que traverse la société française. Zoom sur une sélection de bonnes pratiques.
Développer les solutions bois, malgré la conjoncture
Les professionnels du BTP ne le savent que trop : le prix des matériaux s’est envolé. Certains sont plus touchés que d’autres : l'acier a pris 57 % en moins d'un an et les prix du bois ont augmenté de 100 à 200 %. Les causes de ces difficultés d’approvisionnement sont multiples, mais frappent durement le secteur.
Concernant le bois, l’inflation a une double origine : les États-Unis ont décidé, il y a quelques années, de taxer lourdement le bois canadien, ce qui a conduit les Américains à acheter davantage de bois français. À la même période, la nouvelle réglementation française RE2020 encourageait fortement les acteurs du BTP à l’utilisation de matériaux biosourcés — dont le bois. Une situation particulière qui a conduit à un déséquilibre important entre offre et demande. Mais la pénurie devrait néanmoins rester limitée. « Avec le bois brut, on n’a pas énormément de problèmes pour s’approvisionner. C’est surtout au niveau des panneaux bois que c’est compliqué », explique Roger Garrivier, gérant de l’entreprise Manufacture Bois Paille, à Villefranche-sur-Saône.
Les entreprises devraient donc a priori continuer à construire des immeubles en bois, recourant notamment à des techniques mixtes béton — bois. C’est le cas de la tour Wood'Art (Maïtre Cube), à Toulouse, ou encore de la tour Hypérion (Eiffage), à Bordeaux, qui a été construite à partir d’un « mix matériautique » faisant appel à 1400 m3 de bois et à un noyau en béton pour le maintien de la structure.
Utiliser un béton plus économe et plus écologique
Le béton a été relativement épargné par cette crise des matériaux, même si sa production est forcément touchée par l’augmentation des coûts énergétiques. D’autant que le béton armé, largement utilisé dans le BTP, nécessite des quantités importantes d’acier… Les industriels de la construction ont pris les devants depuis plusieurs années avec des bétons moins gourmands en énergie et en acier. C’est en particulier le cas du béton fibré, dont la production fait intervenir de minuscules fibres métalliques à la place des armatures d’acier.
Ce béton fibré est utilisé pour plusieurs lots du Grand Paris Express (GPE), notamment pour la fabrication des voussoirs, anneaux préfabriqués qui constituent l'ossature des tunnels. « Les voussoirs nécessitent 85 kg d'acier pour un mètre cube de béton. L'utilisation de fibres permet de diviser par deux le tonnage d'acier », détaille Pascal Hamet, directeur du projet Ligne 16-1 chez Eiffage Infrastructures. L'utilisation du béton fibré entre d'ailleurs dans la stratégie de la Société du Grand Paris (SGP), de réduire l'impact carbone du GPE d'environ 25 % par rapport aux chantiers traditionnels. « Dans le BTP, il existe deux gros contributeurs à l’empreinte carbone : le béton et l’acier. Réduire la quantité d’acier utilisée va dans le bon sens pour l’empreinte carbone et la planète », ajoute Pascal Hamet. Une économie de GES, qui est aussi une économie financière, loin d'être anecdotique dans le contexte d'explosion des prix. Pour Bernard Cathelain , membre du directoire de la SGP, le recours au béton fibré est une réussite : « Les voussoirs en béton fibré se généralisent, nous nous en félicitons au regard de l'envolée des prix de l'acier ».
Le béton est effectivement un émetteur important de gaz à effet de serre (GES) — incitant en cela les entreprises à expérimenter des matériaux biosourcés ou géosourcés depuis quelques années. Il s’agit pour l’instant de solutions marginales, et le secteur cherche surtout à diminuer progressivement l’empreinte du béton, avec des solutions bas carbone d'ores et déjà matures en France. LafargeHolcim, Cemex, Point P, Calcia, Hoffmann Green Cement proposent déjà tous des ciments à faible émission de carbone.
La technologie développée par Hoffmann Green est particulièrement intéressante dans le contexte actuel : la startup a mis au point un ciment ultra-bas carbone dépourvu de clinker, le composant le plus polluant, et à faible consommation énergétique. « Nous recourons à l’économie circulaire, en utilisant des coproduits industriels — argile, gypse, laitiers de hauts fourneaux… — que nous activons à froid », indique Julien Blanchard, président et cofondateur de la PME vendéenne. « Cela permet de diviser par 4 ou 5 les émissions de CO2, en ne puisant plus dans les ressources naturelles, et en valorisant les déchets des industries françaises et européennes ». Une logique d’économie de ressources et d’énergie, qui favorise les circuits courts — dont la pertinence est une évidence aujourd’hui.
Mieux valoriser les déchets et mettre en avant recyclage et réemploi
Valoriser les déchets tout en privilégiant leur réemploi est une mesure de bon sens en ces temps de pénurie. Selon Sébastien Duprat, président de la société de réemploi Cycle Up, les mentalités des entrepreneurs évoluent à l’unisson des impératifs économiques et sociétaux, puisqu’ils préfèrent dorénavant « des matériaux de réemploi plutôt que des matériaux bas de gamme venant de pays lointains ».
Le réemploi a le mérite de diminuer les coûts du chantier, sachant qu’actuellement, à cause des difficultés d’approvisionnement, ces coûts ont pris entre 15 et 20 % — avec des devis très limités dans le temps. Certains matériaux sont plus faciles à réemployer, comme l’acier, très touché par la pénurie, qui est recyclable à l'infini et sans aucune altération de ses propriétés ou de sa qualité.
De nouvelles méthodes de démolition et de valorisation sont également en cours de développement. Bruno Cahen, président de l’entreprise de démolition Demcy, explique ainsi : « Nous sommes en train de développer un moyen de mettre en place une chaîne de démontage pour les façades qui nous permettra de réemployer les composants élémentaires ou de faire une revalorisation de matière très pointue ». Un procédé novateur qui pourrait permettre de récupérer certains composants et métaux, comme de l’aluminium — dont le prix a augmenté de 60 % récemment —, et qui seraient donc valorisés de nouveau en France au lieu d’être exportés.
Enfin, la réutilisation se fait le plus souvent en circuits locaux, notamment grâce à des entreprises comme RéaVie ou Cycle Up, évoquée précédemment. Ce fonctionnement en circuit local est encore plus pertinent avec l’augmentation des prix des carburants.
Réduire les déplacements en camion diesel
L’augmentation des prix des carburants est une mauvaise nouvelle globalement pour le BTP : le secteur dépend énormément de véhicules en tous genres — engins de chantier, poids lourds, véhicules utilitaires… Mais cette inflation pourrait aussi donner un coup d’accélérateur aux motorisations électriques et aux alternatives au diesel en général.
Hyundai a d’ores et déjà fait part de son intention de développer des pelles et des chariots élévateurs fonctionnant à l’hydrogène, pour une commercialisation en 2023. Volvo, de son côté, propose aujourd’hui cinq modèles différents d’engins de chantier 100 % électriques — des pelles et des chargeuses notamment. Des engins qui ont d’ailleurs déjà été employés dans le cadre de projets français : Eiffage a utilisé en décembre 2020, pour la première fois en France, un camion d’approche chantier et une pelle 100 % électriques dans le cadre des travaux du lot 1 de la ligne 16 du Grand Paris Express. Dans le même ordre d’idée, le groupe Noblet, spécialisé dans les services aux entreprises de travaux publics, utilise également des camions approche chantier 100 % électriques fabriqués par Renault.
Recourir aux engins électriques est susceptible de constituer une solution plus pertinente en France que dans d’autres pays, puisqu’au-delà des polémiques sur les choix politiques de ces dernières années, notre production électrique demeure moins impactée par l’inflation grâce au nucléaire et au bouclier tarifaire du gouvernement. En l’état, si ces alternatives 100 % électriques au diesel peuvent être pertinentes économiquement, elles le sont assurément en termes de transition énergétique… Reste à savoir si, au-delà de certaines contraintes techniques, ces nouvelles solutions finiront par convaincre toute la filière.
En tout état de cause, le BTP semble moins pris au dépourvu que bien d’autres secteurs pour affronter la conjoncture actuelle dont on ignore le terme.
Développer les solutions bois, malgré la conjoncture
Les professionnels du BTP ne le savent que trop : le prix des matériaux s’est envolé. Certains sont plus touchés que d’autres : l'acier a pris 57 % en moins d'un an et les prix du bois ont augmenté de 100 à 200 %. Les causes de ces difficultés d’approvisionnement sont multiples, mais frappent durement le secteur.
Concernant le bois, l’inflation a une double origine : les États-Unis ont décidé, il y a quelques années, de taxer lourdement le bois canadien, ce qui a conduit les Américains à acheter davantage de bois français. À la même période, la nouvelle réglementation française RE2020 encourageait fortement les acteurs du BTP à l’utilisation de matériaux biosourcés — dont le bois. Une situation particulière qui a conduit à un déséquilibre important entre offre et demande. Mais la pénurie devrait néanmoins rester limitée. « Avec le bois brut, on n’a pas énormément de problèmes pour s’approvisionner. C’est surtout au niveau des panneaux bois que c’est compliqué », explique Roger Garrivier, gérant de l’entreprise Manufacture Bois Paille, à Villefranche-sur-Saône.
Les entreprises devraient donc a priori continuer à construire des immeubles en bois, recourant notamment à des techniques mixtes béton — bois. C’est le cas de la tour Wood'Art (Maïtre Cube), à Toulouse, ou encore de la tour Hypérion (Eiffage), à Bordeaux, qui a été construite à partir d’un « mix matériautique » faisant appel à 1400 m3 de bois et à un noyau en béton pour le maintien de la structure.
Utiliser un béton plus économe et plus écologique
Le béton a été relativement épargné par cette crise des matériaux, même si sa production est forcément touchée par l’augmentation des coûts énergétiques. D’autant que le béton armé, largement utilisé dans le BTP, nécessite des quantités importantes d’acier… Les industriels de la construction ont pris les devants depuis plusieurs années avec des bétons moins gourmands en énergie et en acier. C’est en particulier le cas du béton fibré, dont la production fait intervenir de minuscules fibres métalliques à la place des armatures d’acier.
Ce béton fibré est utilisé pour plusieurs lots du Grand Paris Express (GPE), notamment pour la fabrication des voussoirs, anneaux préfabriqués qui constituent l'ossature des tunnels. « Les voussoirs nécessitent 85 kg d'acier pour un mètre cube de béton. L'utilisation de fibres permet de diviser par deux le tonnage d'acier », détaille Pascal Hamet, directeur du projet Ligne 16-1 chez Eiffage Infrastructures. L'utilisation du béton fibré entre d'ailleurs dans la stratégie de la Société du Grand Paris (SGP), de réduire l'impact carbone du GPE d'environ 25 % par rapport aux chantiers traditionnels. « Dans le BTP, il existe deux gros contributeurs à l’empreinte carbone : le béton et l’acier. Réduire la quantité d’acier utilisée va dans le bon sens pour l’empreinte carbone et la planète », ajoute Pascal Hamet. Une économie de GES, qui est aussi une économie financière, loin d'être anecdotique dans le contexte d'explosion des prix. Pour Bernard Cathelain , membre du directoire de la SGP, le recours au béton fibré est une réussite : « Les voussoirs en béton fibré se généralisent, nous nous en félicitons au regard de l'envolée des prix de l'acier ».
Le béton est effectivement un émetteur important de gaz à effet de serre (GES) — incitant en cela les entreprises à expérimenter des matériaux biosourcés ou géosourcés depuis quelques années. Il s’agit pour l’instant de solutions marginales, et le secteur cherche surtout à diminuer progressivement l’empreinte du béton, avec des solutions bas carbone d'ores et déjà matures en France. LafargeHolcim, Cemex, Point P, Calcia, Hoffmann Green Cement proposent déjà tous des ciments à faible émission de carbone.
La technologie développée par Hoffmann Green est particulièrement intéressante dans le contexte actuel : la startup a mis au point un ciment ultra-bas carbone dépourvu de clinker, le composant le plus polluant, et à faible consommation énergétique. « Nous recourons à l’économie circulaire, en utilisant des coproduits industriels — argile, gypse, laitiers de hauts fourneaux… — que nous activons à froid », indique Julien Blanchard, président et cofondateur de la PME vendéenne. « Cela permet de diviser par 4 ou 5 les émissions de CO2, en ne puisant plus dans les ressources naturelles, et en valorisant les déchets des industries françaises et européennes ». Une logique d’économie de ressources et d’énergie, qui favorise les circuits courts — dont la pertinence est une évidence aujourd’hui.
Mieux valoriser les déchets et mettre en avant recyclage et réemploi
Valoriser les déchets tout en privilégiant leur réemploi est une mesure de bon sens en ces temps de pénurie. Selon Sébastien Duprat, président de la société de réemploi Cycle Up, les mentalités des entrepreneurs évoluent à l’unisson des impératifs économiques et sociétaux, puisqu’ils préfèrent dorénavant « des matériaux de réemploi plutôt que des matériaux bas de gamme venant de pays lointains ».
Le réemploi a le mérite de diminuer les coûts du chantier, sachant qu’actuellement, à cause des difficultés d’approvisionnement, ces coûts ont pris entre 15 et 20 % — avec des devis très limités dans le temps. Certains matériaux sont plus faciles à réemployer, comme l’acier, très touché par la pénurie, qui est recyclable à l'infini et sans aucune altération de ses propriétés ou de sa qualité.
De nouvelles méthodes de démolition et de valorisation sont également en cours de développement. Bruno Cahen, président de l’entreprise de démolition Demcy, explique ainsi : « Nous sommes en train de développer un moyen de mettre en place une chaîne de démontage pour les façades qui nous permettra de réemployer les composants élémentaires ou de faire une revalorisation de matière très pointue ». Un procédé novateur qui pourrait permettre de récupérer certains composants et métaux, comme de l’aluminium — dont le prix a augmenté de 60 % récemment —, et qui seraient donc valorisés de nouveau en France au lieu d’être exportés.
Enfin, la réutilisation se fait le plus souvent en circuits locaux, notamment grâce à des entreprises comme RéaVie ou Cycle Up, évoquée précédemment. Ce fonctionnement en circuit local est encore plus pertinent avec l’augmentation des prix des carburants.
Réduire les déplacements en camion diesel
L’augmentation des prix des carburants est une mauvaise nouvelle globalement pour le BTP : le secteur dépend énormément de véhicules en tous genres — engins de chantier, poids lourds, véhicules utilitaires… Mais cette inflation pourrait aussi donner un coup d’accélérateur aux motorisations électriques et aux alternatives au diesel en général.
Hyundai a d’ores et déjà fait part de son intention de développer des pelles et des chariots élévateurs fonctionnant à l’hydrogène, pour une commercialisation en 2023. Volvo, de son côté, propose aujourd’hui cinq modèles différents d’engins de chantier 100 % électriques — des pelles et des chargeuses notamment. Des engins qui ont d’ailleurs déjà été employés dans le cadre de projets français : Eiffage a utilisé en décembre 2020, pour la première fois en France, un camion d’approche chantier et une pelle 100 % électriques dans le cadre des travaux du lot 1 de la ligne 16 du Grand Paris Express. Dans le même ordre d’idée, le groupe Noblet, spécialisé dans les services aux entreprises de travaux publics, utilise également des camions approche chantier 100 % électriques fabriqués par Renault.
Recourir aux engins électriques est susceptible de constituer une solution plus pertinente en France que dans d’autres pays, puisqu’au-delà des polémiques sur les choix politiques de ces dernières années, notre production électrique demeure moins impactée par l’inflation grâce au nucléaire et au bouclier tarifaire du gouvernement. En l’état, si ces alternatives 100 % électriques au diesel peuvent être pertinentes économiquement, elles le sont assurément en termes de transition énergétique… Reste à savoir si, au-delà de certaines contraintes techniques, ces nouvelles solutions finiront par convaincre toute la filière.
En tout état de cause, le BTP semble moins pris au dépourvu que bien d’autres secteurs pour affronter la conjoncture actuelle dont on ignore le terme.